Longtemps entourée de tabous et de non-dits, la sexualité féminine est aujourd’hui en pleine mutation. Pendant des siècles, le plaisir féminin a été relégué au second plan, souvent éclipsé par des normes sociétales qui associaient la sexualité à la reproduction plus qu’au plaisir personnel. La masturbation, en particulier, a longtemps été perçue comme une pratique essentiellement masculine, associée au besoin sexuel impérieux des hommes. Cette idée a été renforcée par un manque d’éducation sexuelle adaptée, un accès limité à des ressources fiables et une représentation biaisée de la sexualité dans les médias.
Pourtant, l’étude de l’Ifop intitulée Les Françaises et la masturbation dans le couple : la fin d’un tabou ? dresse un portrait bien différent de la réalité. Aujourd’hui, les femmes revendiquent davantage leur plaisir personnel et intègrent la masturbation dans leur vie intime, y compris lorsqu’elles sont en couple. L’émergence des sextoys, de la littérature érotique destinée aux femmes et d’un discours plus libéré autour du plaisir féminin contribue à cette évolution. Mais dans quelle mesure cette pratique est-elle acceptée et assumée ? Est-elle une norme sociétale en voie de démocratisation ou un simple fantasme alimenté par les discours modernes sur la libération sexuelle féminine ? Plus encore, comment est-elle perçue au sein du couple, et quels en sont les impacts sur la dynamique relationnelle ?
L’essor de la masturbation féminine : des chiffres éloquents
Les données récoltées par l’Ifop sont sans appel : la masturbation féminine est une réalité bien ancrée. En 2017, 74% des Françaises affirmaient s’être déjà masturbées, contre seulement 19% en 1970. Une progression spectaculaire qui illustre à quel point la perception de la sexualité féminine a changé en l’espace de quelques décennies. Cette évolution est notamment portée par une meilleure éducation sexuelle et un accès accru aux informations sur le plaisir féminin.
Cependant, une différence notable demeure entre les sexes : si 50% des hommes se masturbent au moins une fois par semaine, seules 14% des femmes en font de même. Ce fossé peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment une éducation sexuelle encore marquée par des idées préconçues et des stigmates persistants sur la masturbation féminine. De nombreuses femmes ont grandi avec l’idée que se donner du plaisir était honteux ou anormal, tandis que pour les hommes, cette pratique a toujours été plus tolérée, voire encouragée.
D’ailleurs, cette disparité entre les sexes peut être mise en parallèle avec le fait que les Françaises sont nombreuses à se déclarer insatisfaites sexuellement. Ce manque d’épanouissement peut expliquer pourquoi certaines cherchent à explorer davantage leur plaisir en solitaire.
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Masturbation féminine et vie de couple : une compatibilité à prouver ?
L’idée que la masturbation est réservée aux personnes célibataires persiste encore dans l’imaginaire collectif. Pourtant, l’étude de l’Ifop démontre que 13% des femmes en couple se masturbent au moins une fois par semaine, un chiffre très proche des 15% observés chez les femmes célibataires. En outre, 28% des femmes en couple déclarent se masturber au moins une fois par mois.
Ces données indiquent clairement que la masturbation n’est pas une activité compensatoire en cas de manque d’activité sexuelle au sein du couple, mais plutôt une composante à part entière de la sexualité. Pour de nombreuses femmes, elle est un moyen d’explorer leur plaisir personnel, de mieux connaître leur corps et, par conséquent, d’améliorer leur relation intime avec leur partenaire. Certaines y voient un outil pour développer leur désir sexuel et rendre leurs rapports plus intenses. D’autres l’utilisent pour répondre à des besoins qui ne coïncident pas toujours avec ceux de leur partenaire, sans pour autant remettre en question leur relation.
Un tabou encore tenace
Malgré les progrès en matière de reconnaissance du plaisir féminin, la masturbation demeure un sujet délicat. Seules 6% des femmes interrogées par l’Ifop affirment en parler librement avec leurs connaissances, et seulement 20% osent aborder le sujet avec leurs amies proches. Pourtant, au sein du couple, la situation semble plus ouverte : 55% des femmes avouent avoir déjà parlé de masturbation à leur partenaire.
Cette difficulté à verbaliser la pratique traduit la persistance d’un malaise social. L’idée que la masturbation féminine est une “substitution” à une relation sexuelle satisfaisante est encore présente dans certaines mentalités, alors qu’elle peut au contraire être un complément à une vie sexuelle épanouie. De nombreux couples s’interrogent sur la signification de cette pratique : est-elle le signe d’un manque dans la relation ou simplement une autre manière d’explorer le plaisir ?
La masturbation féminine : un bienfait pour la vie de couple
Au-delà de la dimension individuelle, la masturbation peut également avoir un impact positif sur la relation de couple. Elle permet aux femmes de mieux comprendre leur propre plaisir, d’identifier leurs zones érogènes et d’exprimer plus clairement leurs désirs. Une meilleure connaissance de soi se traduit souvent par une sexualité plus satisfaisante et une communication plus fluide avec le partenaire. Une femme qui sait ce qui lui procure du plaisir sera plus à même de guider son partenaire et d’échanger sur ses envies, ce qui favorise une complicité accrue.
Par ailleurs, la masturbation est bénéfique pour la santé : elle réduit le stress, favorise un meilleur sommeil et stimule la production d’endorphines, les hormones du bien-être. Elle joue également un rôle dans la prévention de certaines douleurs menstruelles et contribue au maintien du tonus musculaire du plancher pelvien. Intégrer la masturbation comme un élément naturel de la sexualité conjugale pourrait donc être une clé pour renforcer l’intimité et le bien-être des partenaires.
Il est intéressant de noter que cette pratique peut également s’inscrire dans une prise de conscience plus large des problèmes sexuels les plus courants. Mieux connaître son corps permet souvent de mieux identifier et surmonter certaines difficultés intimes.
Une réalité bien ancrée, mais encore marginale
Loin d’être un simple fantasme, la masturbation féminine en couple est bel et bien une réalité. Toutefois, elle reste encore minoritaire et entachée de préjugés. Si les mentalités évoluent, les disparités entre hommes et femmes montrent qu’il subsiste un long chemin vers une acceptation totale de cette pratique. Le regard de la société joue un rôle majeur dans cette dynamique : tant que la masturbation féminine sera entourée de tabous, de nombreuses femmes continueront à la vivre dans le secret, parfois avec un sentiment de culpabilité.
L’éducation sexuelle et la déconstruction des tabous joueront un rôle clé dans cette évolution. En mettant en avant les bienfaits de la masturbation et en normalisant son intégration au sein du couple, la société pourrait ouvrir la voie à une sexualité plus libre et épanouie pour les femmes. Les médias, les professionnels de santé et l’entourage proche ont un rôle à jouer pour encourager une discussion décomplexée sur le sujet et aider à lever les derniers freins culturels.